HOLD UP AUX AOC

PROPOSITION DE BILAN DE LA STRATEGIE ETHIQUE DE J CAPUS

Il est temps sans doute d’esquisser un bilan de plus d’un siècle d’élaboration et de mise en œuvre de l’éthique et de la pratique des Appellations d’Origine Contrôlées en France.

1) LA FONDATION DES APPELLATIONS D’ORIGINE CONTROLEE EN 1935 : ORGANISER LA DEFENSE DE LA VITICULTURE MINORITAIRE, ELITISTE, DE TERROIR
A. LES AOC N’ONT PAS ETE CREES « CONTRE LA FRAUDE » MAIS POUR PROTEGER LES « VINS FINS » DE LA CONCURRENCE DELOYALE DES « VINS ORDINAIRES »
B. DE L’APPELLATION D’ORIGINE A L’APPELLATION CONTROLEE : DES VINS ORDINAIRES AUX « VINS FINS »
C. LES CRITERES DES VINS FINS : L’IMPORTANCE DES CONDITIONS DE PRODUCTION
D. L’OUTIL DE REALISATION : LE PARI DU BINOME : ETAT GARANT MORAL/ELITE DE LA PROFESSION VITICOLE

2) LES ANNES 70 : QUE SONT LES AOC DEVENUES ?
A. DES VINS DE RENDEMENTS
• COMMENT ? POURQUOI ?
Le succès économique des AOC
Le développement du progrès technique
La dégustation d’agrément devient le principal critère d’appartenance : une conséquence du tournant productiviste des AOC
L’extension abusive des zones d’AOC dans les années 60
Les rendements
B. LA DICTATURE SYNDICALE ET LE DEVELOPPEMENT DES OPPOSITIONS
C. LE TOURNANT : QUE CHOISIR ET ALAIN BERGER EN 1995

3) RENE RENOU : RETOUR A J. CAPUS
A. LA REFORME DES SIGNES DE QUALITE VA DE L’AVANT …
B. ….MAIS SANS L’APPLICATION DU VOTE DE L’INAO DU 2 JUIN 2006 ELLE SERA UN ECHEC
C. LA SEGMENTATION SE FERA

4) DE J. CAPUS A R. RENOU : QUEL BILAN DE L’AOC ?

Marques, éthiques de l’AOC, l’Etat ou (et ?) les vignerons ?

5) IL FAUT SORTIR DE L’ANTAGONISME « VINS ORDINAIRES/VINS DE TERROIR » , ORGANISER LA COMPLEMENTARITE « VINS DE PLAISIRS/VINS DE TERROIRS »


HOLD UP AUX AOC proposition de bilan de la stratégie éthique de J. Capus

Il est temps sans doute d’esquisser un bilan de plus d’un siècle d’élaboration et de mise en œuvre de l’éthique et de la pratique des Appellations d’Origine Contrôlées en France. Les AOC font partie du patrimoine de la France, de son rayonnement culturel international, l’acception actuelle du mot « terroir », mot presque intraduisible en toute autre langue, mais repris partout, en est quasiment l’enfant ; la mise en valeur du rôle de l’origine dans la qualité du vin, la défense de cette origine, est plus ou moins en train de s’étendre partout dans le monde, et à bien d’autres produits agricoles, alimentaires, que le vin. Pourtant, la question ne s’est jamais posée avec autant d’acuité : en 2007, les AOC ont-elles encore un rapport même lointain avec ce que voulaient ses créateurs, parmi lesquels J Capus et le baron Le Roy ?

1) LA FONDATION DES APPELLATIONS D’ORIGINE CONTROLEE EN 1935 : ORGANISER LA DEFENSE DE LA VITICULTURE MINORITAIRE, ELITISTE, DE TERROIR

Le combat de J Capus pour la concrétisation dans un système légal de son éthique de la viticulture dura plus de 30 ans.

C’est devenu une évidence dans le discours syndical et institutionnel de l’AOC depuis des années : les AOC ont été crées contre « la fraude ». Quand on pose la question de savoir de quelle fraude il s’agit, on a le plus souvent comme réponse : la fraude postphylloxérique, le non respect des décrets, la défense de la qualité, sans guère plus de précision quant aux enjeux. Ce flou cache un glissement accepté par tous mais très révélateur du dérapage des AOC.

A)LES AOC N’ONT PAS ETE CREES « CONTRE LA FRAUDE » MAIS POUR PROTEGER LES « VINS FINS » DE LA CONCURRENCE DELOYALE DES « VINS ORDINAIRES »

Dans son texte de 1947, intitulé, ce n’est pas anodin « L’évolution de la Législation sur les Appellations d’Origine. Genèse des Appellations Contrôlées », Capus explique page 11 : “la loi du 1er Août 1905 fut au point de vue économique une des plus parfaites et des plus efficaces ; elle fut à la base de l’organisation de la répression des fraudes, rendues de plus en plus fréquentes et dangereuses par les progrès de la science (note PB : décisif, par rapport à l’appréciation du rôle des itinéraires techniques dans l’accès à l’aoc, cf § suivant…). elle sauva de la grande crise des fraudes les vins ordinaires. .. .mais quant aux vins fins et à leurs appellations d’origine, déjà galvaudées, elle se borna à exprimer une intention et nous allons le voir dès le début elle s’est orientée dans une direction regrettable..”

B) DE L’APPELLATION D’ORIGINE A L’APPELLATION CONTROLEE : DES « VINS ORDINAIRES » AUX « VINS FINS »

La loi de 1905 avait débouché sur la création des Appellation d’Origine, mais elle ne liait pas obligatoirement l’origine à des usages de production. Dès la crise de surproduction des années 20/30, comme les vins fins d’AO étaient exemptés de mesures de résorption des excédents, les vignobles de vin ordinaire se découvrirent ..une AO, et le volume de celles-ci…tripla jusqu’en 1934. C’était « le scandale des appellations d’origine », L’objectif de J. Capus était..de réduire de 70% ! les volumes d’Appellation produits ! “l’appellation ne garantissait plus rien” parce que les vins ordinaires s’en étaient emparés, “en donnant aux produits médiocres le droit à l’appellation la législation de 1919 permettait l’exercice d’une concurrence déloyale à l’encontre des véritables possesseurs de la marque”. « la grande préoccupation était alors de faire disparaître les fausses appellations d’origine».

Le décret loi de 1935 créant l’INAO (alors Comité national des AO des vins et eaux de vie) et les AOC est ainsi présenté par J. Capus en 1947 :
” Je disais dans l’exposé des motifs de la loi de 1935 :…Permettre au consommateur de distinguer facilement les appellations qui recouvrent des vins de qualité de celles qui ne s’appliquent qu’à des vins ordinaires”..
«Fallait-il permettre que les producteurs de vins fins…vissent leur production compromise par la concurrence déloyale des producteurs de vins ordinaires, sans originalité, sans supériorité, qui n’avaient cherché dans l’Appellation d’Origine qu’un moyen d’échapper aux lourdes charges du statut viticole pesant sur les vins ordinaires ?
Allait-on refuser toute protection aussi bien au consommateur qu’au producteur loyal ? »
« Aucune production de luxe en France n’est soumise aujourd’hui à un tel contrôle que celle des vins fins et des eux de vie de marque. Chacun des éléments de la production ( sol, cépages, méthodes de culture) a été défini et imposé aux producteurs en vue d’obtenir toute la qualité requise par l’appellation. »

Et Roger Dion, notre grand géographe auteur de l’ouvrage de référence «Histoire de la vigne et du vin en France », écrivit en 1952 dans un article intitulé « Querelle des anciens et des modernes sur les facteurs de la qualité du vin » :

« §IV Antagonisme de la viticulture aristocratique et de la viticulture populaire : ..aussi loin qu’on remonte dans le passé, on voit s’opposer comme d’irréconciliables ennemies la viticulture de qualité, pratiquée par des maîtres aristocratiques ou opulents, et la viticulture simplifiée, dont se contentent les petites gens….La première, celle qui aspire à la qualité, donne sa préférence aux sols pauvres…La culture simplifiée à laquelle les petites gens sont contraints…recherche les sols meubles des plaines, où des labours plus aisés procurent des récoltes plus abondantes…. Après la reconstitution (post phylloxérique) des plantations, la viticulture de qualité, reprit, auprès du gouvernement, ses instances séculaires, et obtint d’être protégée contre sa rivale par une arme d’un style nouveau, que lui a donnée depuis peu la législation sur les appellations d’origine des vins. » (Roger Dion, Le paysage et la vigne, Payot).

S’il s’agit de lutter contre la fraude, c’est de l’utilisation frauduleuse de l’appellation par les vins ordinaires au détriment des vins fins dont il s’agit….Le texte de Capus est tissé de ce fil, il est la trame de la fondation des AOC.

C) LES CRITERES DES VINS FINS : L’IMPORTANCE DES CONDITIONS DE PRODUCTION

Avec les AOC, il s’agissait bien d’organiser et de défendre la partie minoritaire de la viticulture, la viticulture d’expression du terroir. Comment ? Par deux moyens principalement :

– La bataille de Capus, de 1905 à 1935, fut en grande partie une bataille sur la nécessité de ne s’en tenir ni à la provenance, ni à l’origine : « Il y a donc à considérer et à protéger dans l’appellation d’origine : 1° l’origine géographique 2°) les usages de production. » « l’appellation d’origine ne pouvait pas être obtenue grâce à l’origine seule, mais elle devait être garantie également par les usages de production relatifs aux sols et aux cépages »…« le contrôle de chacun des éléments de la production : l’aire de production, les cépages, le rendement à l’hectare, le degré alcoolique minimum du vin, tel qu’il doit résulter de la vinification naturelle et sans aucun enrichissement, les procédés de culture » (Capus 1947). A l’époque, la vraie bataille fut donc bien de ne pas accorder l’AOC sur la seule base d’une délimitation parcellaire, fût-elle exigeante…il fallait donner les preuves que les techniques utilisées respectaient les terroirs. La non prise en compte par l’appellation des « usages », des techniques, était le facteur qui permettait aux vins « ordinaires » de faire une concurrence déloyale aux « vins fins », les deux types de vin se présentant sous la même étiquette d’appellation au consommateur. Les critères techniques retenus étaient assez limités… Mais en 1935, le pouvoir de la technique sur le terroir n’était pas le même que dans les années 60.

D) L’OUTIL DE REALISATION : LE PARI DU BINOME ETAT GARANT MORAL/ELITE DE LA PROFESSION VITICOLE

– et deuxièmement : « la collaboration de l’Etat et de la profession était nécessaire » (idem). C’est pour cela que le système de l’INAO fut créé. J Capus pensait, après 30 ans de tâtonnements entre intervention étatique, judiciaire et professionnelle, qu’on pouvait créer un bînome interactif efficace, avec à un pôle l’Etat, garant du point de vue patrimonial et moral, et à l’autre la profession, des vignerons choisis par l’Etat, « confier la direction de la profession à des élites » parmi les producteurs minoritaires, mais organisés, de vins fins, pour constituer le Comité National, dont la mission ne serait « pas sociale, mais morale ». « Seul, un organisme national, ou l’Etat est présent, où rien ne lui est étranger, peut avoir assez d’indépendance pour résister aux influences diverses qui amollissent la discipline. »

2) LES ANNES 70 : QUE SONT LES AOC DEVENUES ?

A) DES VINS DE RENDEMENTS

Deux documents, parmi d’autres, témoignent du changement de nature des AOC :
– la suite d’articles, dans le « Progrès Agricole et Viticole », du Comité français pour la défense et la promotion qualitative des vins et eaux de vie à AOC (COFRADEP), comité constitué en 1974 autour de vignerons de vins fins et de Jean Branas, professeur honoraire à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier, décédé depuis.
– Le livre de Pierre Marie Doutrelant, « Les bons vins et les autres », paru en 1976.

D’une lecture attentive de ces deux documents ressort un constat accablant : C’est dès les années 70 que les AOC ne sont plus garantes de l’expression des terroirs.

PM Doutrelant dresse le tableau : extensions abusives des délimitations d’AOC des coteaux aux palus, de St Emilion à Chablis, explosion des rendements, interventions techniques lourdes, agronomiques, œnologiques, de toutes sortes, fraudes en continu, mensonge au consommateur, tout y est, région par région, avec verve et sans pitié, et c’est d’une actualité sidérante.

Les documents du COFRADEP sont moins polémiques, plus concis mais tout autant impitoyables, car ils sont analytiques, chiffrés, historiques et juridiques, ils replacent les problèmes en référence à la fondation des AOC par J. Capus. Ils font les même constats : « excédents de rendements presque tous reclassés, terroirs dénaturés par des transports de terre abusifs, extension immodérée des zones délimitées (+50% à Chablis, article de W.Fèvre dans « Le Monde »), pour aboutir à cette conclusion :
« Alors le souci de la quantité, de rendement, de la rentabilité, de la performance économique peut s’étaler sans contestation possible pour déborder celui de la qualité et de la sauvegarde des usages loyaux de production. Notre réglementation sur la protection des appellations d’origine peut être, aujourd’hui, considérée comme un masque dont on se couvre ou dont on se pare vis-à-vis du consommateur étranger, notre client préféré. La notion d’appellation d’origine, telle qu’elle fut conçue par les Capus, Le Roy, d’Angerville, Briand, Gouges, ….etc…fait place à une notion économique de clivage entre les diverses catégories de vins. » (15/6/1974)

B) COMMENT ? POURQUOI ?

Bien sûr ces deux questions sont liées.

Le succès économique des AOC
On peut dire : la réputation du système AOC est telle dans les années 60 que les vins français, pourvu qu’ils portent l’étiquette AOC, ont le vent en poupe, y compris à l’export. Donc, on ouvre les vannes des AOC. Dans les années 60, la viticulture majoritaire de volume a pris le pouvoir dans les structures des AOC, depuis les syndicats jusqu’à l’INAO, alors même que ces structures avaient été créées par l’Etat pour défendre la viticulture minoritaire de terroir. L’Etat, par intérêt économique immédiat, sensible au clientélisme, par électoralisme, a encouragé cette prise de pouvoir, à la fois par une politique de recrutement à l’INAO inverse à celle préconisée par J. Capus, et aussi par des évolutions réglementaires ; au minimum, il a laissé faire. Depuis les années 60, comme l’indiquait le COFRADEP, « on nomme, de préférence, des producteurs d’Appellations Régionales…C’est parfois l’avis du syndicalisme à vocation générale ou celui des organisations de jeunes agriculteurs qui prévaut ». Le décret de janvier 1967, selon le COFRADEP, est le signe qui annonce « un sérieux glissement vers le bas ».

Le développement du progrès technique
« La réglementation française des Appellations d’origine s’est également formée dans une période où les vignerons cultivaient leurs vignes à peu près comme le faisaient leurs grands-pères. Pendant 50 ans, c’est à dire de 1905 (date de la première loi sur la protection des appellations d’origine) à 1955, les techniques culturales et les outillages sont restés inchangés et les rendements sont restés sensiblement les mêmes, oscillant entre 20 à 40 hl/ha….Depuis une quinzaine d’années, quelles transformations dans le vignoble ! » et l’article énumère les sélections variétales, les fumures, les produits de traitement, la mécanisation, les moyens lourds qui permettent même de « reconstituer des sols » pour conclure « Les rendements à l’hectare dans les vignobles d’AOC peuvent atteindre désormais des niveaux exceptionnels.. » COFRADEP juin 1974.

C’est un point clé. Car, pour l’essentiel, la finalité des progrès techniques, de la recherche, n’a pas été dans ces années basée sur la recherche scientifique du rapport vigne/terroir, sur la vie du sol, sur les itinéraires techniques, à la vigne et à la cave, permettant d’affiner l’expression du terroir dans les vins fins. Il s’est agi avant tout d’une chose : augmenter les rendements viables, c’est à dire : comment porter le plus gros volume possible de raisins en apparence « sains », mais en fait plus dilués et riches en azote, jusqu’à la vendange (phytosanitaires de synthèse et systémiques à outrance), comment par l’œnologie corriger les fragilités et les déséquilibres de vins de faible constitution et en faire des vins « sans défauts ».

Ce n’est pas condamnable en soi, avec un bémol tout de même : cette explosion de productivité s’est basée sur l’utilisation massive de chimie (des engrais aux «phytosanitaires ») qui pose aujourd’hui de très graves problèmes environnementaux. Mais vouloir améliorer la viticulture de volumes, c’est effectivement indispensable. A condition de bien distinguer celle-ci de la viticulture de terroir, c’est à dire de ne pas admettre ses « usages » dans la viticulture d’AOC…Or que s’est-il passé ?

Quel comité éthique et scientifique a travaillé avec l’INAO pour étudier les effets conjugués de l’arrêt du travail du sol « grâce » aux désherbants, du développement en résultant du réseau racinaire de surface, de l’absorption par celui-ci des engrais chimiques, de la modification de la structure et de la vie du sol, de sa relation à la vigne, et des effets sur le rapport vin/terroir ? L’utilisation quasi systématique de sucre exogène pour compenser les faibles degrés produits par ces vignes à hauts rendements a-t-elle été étudiée, dans le rapport sucre de betterave/expression du terroir ?

Des cépages « améliorateurs » (de rendements) (ou –et- des clones productifs) chassant les cépages traditionnels, à l’emploi industriel des levures sélectionnées, du tartriquage pour redresser des acidités défaillantes aux analyses de sol ayant pour résultat de nier la spécificité du terroir, puisque ayant pour objectif de le « corriger » en l’alignant sur un « sol idéal » dans un objectif de rendement, des osmoseurs dans les premiers crus classés à la cryoextraction… quand ces techniques ont-elles fait l’objet de débats, du point de vue de leur effet sur la relation terroir/vigne/raisin/moût ? ? ?

L’intégration des enjeux techniques dans la définition des règles d’AOC avait été le cheval de bataille de J. Capus pour en finir avec « le scandale des Appellations d’Origine » : J Capus avait même écrit, dans son texte de 1947, cette mise en garde prémonitoire : « C’est dans les méthodes de production qu’on pourrait croire que le progrès scientifique va apporter le plus de modifications. Or, toute nouveauté, toute modification d’ordre industriel ne constituent pas forcément un progrès dans la matière qui nous occupe. Dans cette matière il n’y a qu’un seul progrès : c’est celui qui est constaté par une amélioration dans la qualité des vins. » Respecter les bases fondatrices de J. Capus cela aurait été soumettre l’intégration de ces techniques et pratiques à l’AOC en fonction d’études et de débats sur leur répercussion au lien au terroir. Aussi intéressantes aient-elle été, les études sur le terroir menées par certains chercheurs de l’INRA en particulier ont rarement intégré cette problématique, et n’ont eu que peu de répercussions dans les AOC de ce point de vue. D’autres chercheurs qui s’obstinaient sur la voie du terroir ont connu le même sort que les vignerons « rebelles » : marginalisation du circuit « officiel ». Jamais il n’y eu vraiment de débat officiel, donc encore moins d’interdictions d’utilisation, sauf exceptions (souvent bafouées), dans les décrets d’AOC. Impossible, bien sûr, la majorité syndicale AOC s’était constituée avec les producteurs à la pointe de la productivité…Cette course technique à la productivité a été une des bases de la prise de pouvoir des vins de volumes dans les syndicats d’AOC.

Car les moyens techniques ont permis de transformer les terroirs à vins fins en usines à raisins, en « terres à choux », ou plutôt : ont consacré l’éloignement, voire la rupture, d’une bonne partie du vignoble d’avec le terroir, la culture de la vigne AOC tendant…au hors sol.

La viticulture d’AOC était tout simplement entrée dans l’orbite de l’agriculture productiviste, du coup par le simple jeu de la démocratie majoritaire la gestion syndicale de l’AOC fut soustraite à la viticulture de terroir et à ses représentants…. L’AOC continuait…sans l’éthique …mais..avec son étiquette magique… !

La dégustation d’agrément devient le principal critère d’appartenance : une conséquence du tournant productiviste des AOC
Parmi les mesures de janvier 1967, le COFRADEP pointe…la dégustation rendue obligatoire..
« la dégustation obligatoire…serait « l’ultima ratio » de la qualité. A partir de cette vue de l’esprit, on envisage en haut lieu l’assouplissement du principe limitant le rendement à l’hectare…Un raisonnement parallèle conduit à une conclusion d’une grande simplicité : puisque la règle commune se résume à l’épreuve gustative, considérée comme un absolu, pourquoi ne pas regrouper sous la dénomination d’AOC toutes les Appellations existantes en commençant par les V.D.Q.S ? Ce pas est actuellement franchi….Ce sont donc la substance et le fondement même de la doctrine juridique des AOC qui se trouvent mis en cause sous la caution d’un critère éminemment subjectif, inconstant et imprécis. De ce chef, la confusion entre « bon vin » et « grand vin » est établie, mise à l’ordre du jour de la viticulture. Et, comme la fausse monnaie chasse la bonne, dans quelques lustres si l’on n’y porte pas remède, la majorité des grands vins, à l’exception peut-être des « tout grands », peut disparaître de l’Armorial français ».
« La dégustation obligatoire, telle qu’elle est conçue, ne saurait être considérée comme une mesure d’un niveau sélectif suffisant. Elle ne peut que donner un label à des vins sans défauts organoleptiques marquants, mais aussi sans personnalité véritable. Elle a donc les caractères d’une sélection de masse qui conduit irrésistiblement à une production de masse. Elle fait trop de part à l’erreur, à l’illusion, à la camaraderie mal comprise, à l’intérêt économique, aux influences diverses, aux difficultés d’organisation (si la détermination de la date de dégustation d’un vin « de primeur » ne pose pas un problème, à quel moment devrait-on déguster un vin « de garde » ?, aux dissimulations possibles en cave, pour que les AOC puissent s’en accommoder. » (PAV juillet 1974).

L’extension abusive des zones d’AOC dans les années 60 : nous l’avons vue précédemment. Elle est évidemment fondamentale dans le dérapage. La loi de 1905 l’avait permise, la loi de 1919 aggravée, 1935 avait permis de corriger….

Les rendements : Les chiffres ne prêtent guère à discussion, ils sont archi connus. Marcel Lachiver, dans son ouvrage de référence, « Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français », écrivait :
« ..en moins de quarante ans, ces rendements, pour les AOC, ont grimpé de 30 à plus de 50 hectolitres/ha, en moyenne s’entend. C’est dire que des rendements de 60-70 hl existent dans certains vins d’AOC et que pour les vins blancs…on arrive dans quelques vignobles à près de 100 hl/ha… » Quand on connaît les réalité du « déclassé » dans certain vignoble, on se dit que oui, M. Marcel Lachiver est décidément un homme très gentil.
J. Capus faisait remarquer qu’en 1934, « les abus avaient fait monter le chiffre des Appellations d’origine à …20% de la récolte totale » ! R. Renou estimait que les AOC de terroir ne devrait que représenter 10 à 15% de la production…Comme le fit remarquer N. Olszak, professeur à l’Université R. Schuman de Strasbourg, lors du colloque « Quel bilan pour les AOC 70 ans après » tenu à Chateauneuf du Pape en avril 2005 : « Quand on a créé les AOC, on pensait couvrir 10% de la production. On en est à la moitié… ».

C’est donc l’ensemble de ces données qui permit la prise de pouvoir des vins de volumes dans les AOC, et la marginalisation des vins de terroir dans un système pourtant créé pour eux

D) LA DICTATURE SYNDICALE ET LE DEVELOPPEMENT DES OPPOSITIONS

Depuis plus d’une trentaine d’années maintenant, les oppositions à cette dérive des AOC n’ont pas manqué. Mais leur expression a été difficile, souvent inaudible. La raison principale en a été le pouvoir hégémonique de la viticulture productiviste dans tout le système syndical AOC, jusqu’à l’INAO, qui s’appuyait sur une réussite économique indiscutable. Que pèsent les protestations d’une poignée de « puristes » jouant les Cassandre face au succès immédiat ?

Quand il s’agissait des journalistes comme Doutrelant, le pouvoir syndical dénigrait les «intellos » qui ne connaissent pas le « travail ». Les structures cultivent une vraie haine du journalisme, dès qu’il n’est plus aux ordres.
Quand il s’est agi de vignerons, ce même pouvoir syndical omnipotent les a la plupart du temps laminés. Argument « moral » : « ce sont des individualistes marginaux qui ne veulent pas accepter la dimension collective de l’appellation ». Guerre économique : refus des vins à l’agrément. Argument corporatiste digne d’autres temps, d’autres lieux « vous faites le jeu des ennemis du vin, réglons nos affaires en famille » -sous entendu : parler des vrais problèmes aux consommateurs, aux journalistes, c’est digne des traîtres, nous sommes en guerre…-Méthode que dénoncera René Renou dans le Monde, «la loi du silence ».

Globalement les vignerons remettant en cause cette dérive se voyaient répliquer deux arguments écrasants : « vous refusez la vie collective » – en fait, acceptez la loi collective des vins de volumes- « vous niez l’amélioration de la qualité » en fait, restez-en à l’amélioration de la qualité …des vins de volumes !

Ce mur insupportable de mépris et d’arrogance, auquel se sont confrontées plusieurs générations de vignerons, les mettant en péril économiquement –puisque l’AOC était l’outil commercial indispensable- a engendré une multitude de formes de résistances, de révoltes, d’excès, de tentatives plus ou moins désespérées des vignerons souhaitant renouer avec les valeurs authentiques de l’AOC, trouver des solutions viables sans se renier, tout en essayant de rendre visible leur différence, pour tout simplement pouvoir rentabiliser leurs « surcoûts » de production.

A divers degrés, et souvent dans une grande confusion, on retrouve aujourd’hui le contre produit de ce qu’il faut bien appeler la « dictature syndicale de la viticulture productiviste des vins de volumes » dans l’explosion des associations, l’organisation des bios, de la biodynamie, des « vins naturels », dans l’Union des Gens de Métier, dans l’Académie des Vins de France, dans Sapros, dans Renaissance des Appellations, dans Vignerons dans nos AOC, dans Sève, etc…et dans des journaux comme « le Rouge et le Blanc », GautMillau dans les années 90, dans la RVF, dans des livres comme ceux de Renvoisé, Paillard, dans les Guides de vins, (où vous trouverez peu de domaines des responsables viticoles), etc… en réalité, la liste est très longue…qui regroupe, de façon hétéroclite, imparfaite, inégale, une partie de ceux que J. Capus décrivait ainsi : «Pour obtenir ce vin réputé, ces producteurs ont du s’astreindre à n’employer que des cépages spéciaux, de faibles rendements, exigeant des soins multiples, et à ne planter en vigne que des terrains remplissant les conditions nécessaires. Ils ont du engager des dépenses beaucoup plus élevées que celles qui incombent aux producteurs de vins ordinaires… ».
Depuis plus de trente ans, il y a un vrai malaise structurel, et durable, une rupture grave, entre les structures officielles de la viticulture, et toute une partie des vignerons, de la presse spécialisée, de la presse des consommateurs : de l’opinion, en fait.

E) LE TOURNANT : QUE CHOISIR ET ALAIN BERGER EN 1995

Ce n’est sans doute pas un hasard si le scandale explosa justement dans une revue de consommateurs, Que Choisir, à l’occasion d’un article détonant (Vins français, la qualité en péril, novembre 1995) qui remettait en cause de manière très argumentée la qualité des vins et l’authenticité du discours des AOC françaises. L’article reposait sur une dégustation comparative de vins français et étrangers faite par l’équipe du « Le Rouge et Blanc », et remettait en cause l’authenticité du lien au terroir des AOC : chaptalisation, rendements, etc…. Mais ce qui mit le feu aux poudres, c’est que dans cet article, c’est le directeur de l’INAO lui-même, Alain Berger, qui mit les pieds dans le plat :
« On peut trouver aujourd’hui sur marché des produits scandaleux auréolés de l’AOC »
« les AOC représentent maintenant la moitié des vins français en volume. C’est trop, il faut arrêter maintenant ».
La réaction de la profession ne se fit pas attendre : les interprofessions bourguignonnes et bordelaises hurlèrent à la trahison du vin français, menaçèrent Que Choisir des pires représailles, et …obtinrent la tête d’Alain Berger.
Mais le système commençait à se lézarder de l’intérieur.

3) RENE RENOU : RETOUR A J. CAPUS

A) « IL FAUT QUE TOUT LE MONDE AVANCE EN MÊME TEMPS » ?
Quand René Renou fut nommé président du Comité Vins de l’INAO, en mars 2000, il annonça rapidement ses intentions : la viticulture allait dans le mur, avait cinq ans pour se redresser, faire ce qu’elle disait et dire ce qu’elle faisait. René Renou faisait partie de ces responsables de l’INAO qui depuis des années se posaient des questions, il ne répondait pas par le mépris habituel aux vignerons « rebelles » qui l’interpellaient, mais leur disait : « vous avez sans doute raison, mais vous voulez aller trop vite, il faut que tout le monde avance en même temps, travaillez dans les syndicats ». Parvenu aux manettes, il eut un immense mérite : celui d’écouter, de visiter, de rencontrer. Et là, son point de vue changea. « Il faut que tout le monde avance en même temps », c’était l’argument massue, de bonne ou mauvaise foi, employé par certains responsables syndicaux, pour calmer les « rebelles », essayer de les intégrer dans le travail syndical, y compris pour que les choses avancent. Mais René Renou, tout en continuant à exhorter ces « dissidents » à entrer dans l’appareil, prit conscience qu’en fait, cette proposition était complètement antagoniste avec les fondements de l’AOC définis par J. Capus. Car comme exposé plus haut, pour J. Capus, l’AOC était tout le contraire du « tout le monde doit avancer en même temps », du nivellement par le bas, de l’étouffement de la qualité par la quantité ; pour Capus, l’AOC était la nécessité d’un cadre juridique bien séparé, différent, pour protéger l’élite de la viticulture, la viticulture de terroir.

Dans une interview au « Monde », en mars 2005, René Renou déclarait :
«Jusqu’en 1985, le vignoble français de moyenne et haut de gamme était en situation de monopole, avec un seul code, magique : le lien au terroir, porteur de culture, de luxe», «Dans cette situation, vous pouvez faire n’importe quoi. Il y a eu des horreurs, un relâchement absolu.». «Les syndicats d’AOC ont trop souvent protégé les mauvais. Il faut rompre avec la loi du silence, retrouver une transparence absolue » La crise ? «C’est la profession qui se fait du mal à elle-même».

La réponse du syndicalisme viticole à Renou fut globalement à la hauteur de la démagogie condescendante habituelle à l’égard des « vignerons rebelles » : « discours à l’emporte pièce pour lecteur parisien en mal d’authentique » se permit d’écrire la Fédération Viticole ….de l’Anjou, sa propre région !
Le 2 juin 2004, recevant à l’INAO une délégation de « Vignerons dans nos Appellations », il avait dit clairement : “le système actuel défend la médiocrité, écrase ceux qui font des efforts ». René Renou s’était rendu compte que le système AOC réel consacrait le pouvoir des vins standards, et étouffait tout renouveau des vins de terroir en France.

C’est sur ces constats que René Renou en vint à proposer la création d’un segment supplémentaire dans les AOC, les AOCE, avec une disposition particulière pour les situations minoritaires, les Sites et Terroirs d’Excellence, comme Capus en son temps voulut rajouter les AOC aux AO..

René Renou parvint, contre une profession majoritairement déchaînée contre sa réforme, à faire voter au Comité National du 2 juin 2006 la segmentation des AOC :
«Le cadre juridique souhaité par le Comité National permettra de développer la commercialisation des Appellations d’Origine Contrôlées en segmentant leur offre en deux catégories:
– la première répondant à des critères stricts de production relatifs à un lien fort au terroir, une notoriété établie alliés à des facteurs humains et naturels. Il s’agit des vins jouissant actuellement d’une forte valeur ajoutée.
– et une seconde, plus souple, qui se mettra en place en concertation avec l’ensemble de la filière, permettant notamment d’utiliser de nouvelles technologies, afin de répondre aux besoins de la production d’accroître sa compétitivité sur le marché international.»
A peine votée cette orientation décisive, renouant enfin avec l’éthique de J. Capus, René Renou décédait brutalement le 19 juin 2006.

B) LA REFORME DES SIGNES DE QUALITE VA DE L’AVANT …

La réforme de l’INAO s’est poursuivie, elle avance à grands pas : mise en place des ODG, des instruments de contrôle, cahiers des charges….Le calendrier est serré, le travail intense, les échéances sont au 1er juillet 2008. Pour quels objectifs ?

Force est de constater que jusqu’à présent, ce qui se met en place est avant tout
– un nouveau cadre juridique, potentiellement destiné à casser en droit l’hégémonie de la gestion « syndicale ». Dans les faits, jusqu’à présent la mise en place des ODG est avant tout un copié collé syndical. Certes, tous les producteurs d’AOC auront maintenant le droit de vote, mais cela veut simplement dire que la minorité a gagné le droit…de s’exprimer…de devenir une minorité éventuellement « visible », et que la majorité productrice des vins de volumes est toujours aux manettes des AOC.
– et des outils de contrôle plus fiables de la qualité…des vins de volumes, puisque la segmentation votée en juin 2006 n’est pas organisée pour l’instant par l’INAO, et qu’il n’y aura pas d’ici juillet 2008 de modification majeure des cahiers des charges, comme le dit très clairement la CNAOC :
« Les AOC ont aujourd’hui un cahier des charges : c’est leur décret d’appellation. Si la réforme est l’occasion de compléter ou d’actualiser les décrets, il faut cependant tenir compte du calendrier très serré de la réforme. Ce qui signifie que l’ODG doit être pragmatique. Le plan de contrôle peut être défini dès à présent à partir des conditions de production existantes. Dans le délai d’un an qui lui est imparti, l’ODG pourra envisager des demandes de modifications mineures. Par contre, les modifications majeures feront appel à une procédure plus lourde et donc, nécessairement plus longue ».Cnaoc Infos juillet 2007.

(La mise en place de ces outils de contrôle n’est d’ailleurs pas sans nous inquiéter –aussi bien pour ce qui est des vins de volume, que pour les conséquences sur les vins de terroir, en particulier sans segmentation : voir « Libérons les goûts des vins »).

Alors, où va la réforme, une re-segmentation des AOC est-elle toujours nécessaire, possible, et comment ?

C)….MAIS SANS L’APPLICATION DU VOTE DE L’INAO DU 2 JUIN 2006 ELLE SERA UN ECHEC

Regardons de nouveau les chiffres. Ceux du 1er semestre 2007 viennent de sortir : formidables, la crise est derrière ? « Confirmation de la reprise pour l’ensemble des exportations françaises de vins » « Les vins et spiritueux représentent toujours le premier poste des exportations agroalimentaires françaises (2% du total des exportations françaises) et 90% de l’excédent sectoriel. Sur les 6 premiers mois 2007 (dernières données Douanes disponibles), les exportations françaises de vins et spiritueux sont toujours orientées nettement à la hausse » « les maisons de champagne craignent toutefois une pénurie de raisin .» (freiner dans les côtes, c’est toujours agaçant, comme on l’a vu au dernier Tour de France). Mais « Si les exportations de vins tranquilles sont toujours nettement dans le vert, enregistrant une progression de 4,1% en valeur (1,94 milliard €) et 1,3% en volume (68,7 millions de caisses), les résultats sont plus mitigés selon les catégories de produits et les régions. Dans le détail, les vins d’appellation régressent en volume (-3,4%) mais progressent en valeur (+3,8%).(au fait, les Champagne sont-ils classés dans les vins d’appellation ?).

« Grâce au maintien de prix compétitifs et une qualité confirmée, les vins tranquilles poursuivent sur un bon rythme, profitant pleinement de la croissance internationale de la consommation de vins. Il convient cependant de rester prudent pour cette dernière catégorie, les situations y sont toujours très diverses. Cette embellie ne doit ainsi pas faire oublier la nécessité de poursuivre les réformes nécessaires engagées dans la filière viticole pour retrouver une compétitivité durable sur tous les segments de marché des vins tranquilles ». La Journée Vinicole 23 août 2007.

La question est vraiment là. La profession (ceux qui vont survivre) va être inévitablement tentée de renouer avec les tranquilles certitudes des années d’avant la crise…certitudes basées sur les bons résultats…certitudes qui l’ont menée dans le mur…Mêmes causes, mêmes effets. Pourquoi segmenter, puisque ça (re) marche ?

Or de notre point de vue la crise a eu deux causes principales :
– les vins d’AOC devenus vins de volumes dans les années 60 ont eu deux gros handicaps, distincts : 1) une qualité très irrégulière, même en tant que vins de volumes. 2) un mensonge au consommateur français et étrangers : on a voulu faire passer des vins de régions, des vins de pays, (histoire des VDQS) voire de table recyclés, pour des vins de terroir, en les propulsant par une image vieillotte défraîchie et décalée sur leur cible.
– La mise à la torture des vins de terroir, et de leurs producteurs, par les syndicats d’AOC, en particulier dans les régions les moins prestigieuses où la pression des vins de volumes est très forte. Les vins de terroir et leurs vignerons ont subi ce à quoi J. Capus voulait leur faire échapper : la concurrence déloyale des vins de volumes. Car ces vins de terroir ont été noyés dans ces volumes aux yeux des consommateurs avec la même étiquette AOC. Cette concurrence déloyale ravage la viticulture de terroir, et tend à appauvrir considérablement la diversité régionale des vins de qualité en France, or cette riche diversité est le socle du rayonnement des vins français dans le monde. La politique du « tout le monde doit avancer en même temps » a aboutit à casser ou à rendre très difficiles des dynamiques qualitatives, de terroir, dans certaines régions.

Le résultat est que si on regarde la réalité en face, la politique d’AOC/Vins de terroirs en France est quasi moribonde.
Ce qui marche, ce sont les marques : le Champagne est une marque, Bordeaux est une marque, les crus classés bordelais n’ont pas grand’chose à voir avec l’AOC, ce sont des marques, certaines appellations bourguignonnes bien connues pour leurs rendements magiques sont des marques…
Des AOC marques « collectives » qui marchent…avec l’étiquette AOC et la caution « terroir », mais pas des AOC au sens de JCapus ou de RRenou : car pas particulièrement basées sur une délimitation de terroir exigeante ou précise…ni sur des cahiers des charges de mise en valeur du terroir : rendements, osmose, machines à vendanger, chaptalisation, etc…tout y est permis…ou pratiqué…
Et puis ça et là des vignerons ont mis leur nom, leur marque en avant, plus ou moins hors AOC, pour réussir, refusant de se laisser assassiner par le nivellement par le bas impliqué par la dictature syndicale de l’AOC.

Si la réforme se met en place comme à l’heure actuelle, sans organisation rapide d’une nouvelle segmentation des AOC, tout sera prêt pour une nouvelle crise, en particulier de la crédibilité des vins français. Pourquoi ?

Car si la question d’une meilleure qualité des vins de volumes peut avancer dans le cadre actuel de la réforme (moyennant quelques inquiétudes), la question du mensonge aux consommateurs sur le rapport au terroir de ces vins, reste entière, et explosive.

Oui, la Champagne, quelques Bordeaux et quelques autres marchent : mais ils ne pourront pas rester toujours crédibles s’ils ne peuvent pas prouver par un cahier des charges ce qu’ils prétendent. Ils ne pourront pas non plus réussir à terme s’il y a un désert qualitatif autour d’eux.

Car tant que la viticulture minoritaire de terroir n’est pas définie, organisée, protégée, en tuant les initiatives des vignerons les plus exigeants…on prive la viticulture française dans son ensemble de sa locomotive indispensable, de ce qui fait rêver partout dans le monde.

La viticulture de volume française a effectivement besoin d’une réforme, de produire de meilleurs vins à meilleurs prix, mais sans une communication crédible sur le renouveau de la minorité élitiste de la viticulture de terroir, qui seule peut la tirer sur les marchés face à la concurrence du Nouveau Monde (l’ancien Nouveau Monde, mais aussi le prochain nouveau, comme…la Chine productrice de vins..), elle sera laminée, tout simplement parce qu’elle ne fera de toute façon pas le poids, ni par les volumes, ni par les prix. Un atout majeur pour elle, pour réussir à vendre une qualité nécessairement améliorée, sera l’image de prestige de la viticulture française…à condition qu’elle existe encore….. !

D) LA SEGMENTATION SE FERA..

Elle se fera car le mensonge des AOC devient trop visible, et le marché exige une clarification.
UNE SEGMENTATION HONNÊTE ET CREDIBLE EST URGENTE :
• Pour les vignerons qui font des efforts pour la mise en valeur des terroirs il est urgent d’avoir des outils efficaces de valorisation de la « qualité terroir », ce que ne permet plus la simple étiquette AOC. Ainsi que l’écrivait encore..J. Capus : « Il n’y a pas de produit de qualité sans une appellation qui le distingue ..du produit ordinaire. Mais il n’y a pas d’appellation viable sans protection. »
• Pour les consommateurs dont J Capus parlait aussi en termes (hélas) très actuels : « allait-on permettre qu’un consommateur achetant au-dessus du prix du vin ordinaire un vin à appellation d’origine, ait deux chances sur trois d’être trompé ? ». Depuis trente ans les consommateurs, par la voie de la presse en particulier, dénoncent cette situation, sans autre réponse sérieuse qu’un corporatisme outragé et méprisant.
• Pour tous les circuits de commercialisation : qui peinent à rentabiliser la vente des vins de terroir, car l’information sur ces produits vers l’acheteur dépend trop de leurs initiatives et leur coûte cher : temps d’explication, mise en valeur…ce qui freine leurs achats sur ce segment, indépendamment de leur propre appréciation de ces vins.
C’est en fait toute la filière qui a besoin de sortir de la confusion pour travailler correctement.

4 ) DE J. CAPUS A R. RENOU : QUEL BILAN DE L’AOC ?

Nous devons là aborder le bilan de l’application des idées de J. Capus : l’Etat peut-il être, comme J. Capus le souhaitait, le garant de cette « méritocratie républicaine », imposer, faire respecter l’éthique, résister aux lobbys économiques, électoraux, de toutes sortes ?
Le rapide survol que nous venons d’effectuer incline au scepticisme…Passer de « l’idéal au réel » implique peut-être de revoir le rapport Etat/profession…. ?
La segmentation se fera. Une sorte de segmentation peut se développer quasi exclusivement par les marques, comme c’est en cours : regroupements par notoriété, communication : modèle grands crus de Bordeaux…sur toute la France… mais c’est très dangereux à moyen terme…Car il n’y a pas de crédibilité par des cahiers des charges et des contrôles…
On peut, et c’est le point de vue de Sève, l’attendre aussi d’une renaissance de l’éthique originelle AOC. Deux possibilités pour cette renaissance : soit par l’Etat, avec les interrogations liées au bilan de son travail, soit…par les vignerons eux-mêmes, ces vignerons qui revendiquent et se donnent les moyens de l’expression du terroir ?
Car quelles que soient les ouvertures réelles que la réforme peut offrir dans la réécriture à terme des cahiers des charges, on bute sur cette donnée fondamentale : les vins « de terroir », les vignerons « de terroir » sont par essence minoritaires dans les ODG, dans la plupart des cas ils ne pourront pas peser significativement sur le contenu des cahiers des charges, au point d’en faire des cahiers des charges de vins de terroirs. Cela reviendrait d’ailleurs à une autre impasse : il ne s’agit pas pour les « vignerons de terroir » , y compris souvent pour leurs propres domaines, de supprimer la viticulture d’Indication Géographique de Provenance, il ne s’agit pas d’inverser l’hégémonie, il ne s’agit pas d’imposer les règles de la viticulture de terroir à toute la viticulture. Mener cette bataille, outre qu’elle est perdue d’avance et sèmerait la discorde, reviendrait à retomber dans les mêmes erreurs qu’il y a quarante ans…

5 ) SORTIR DE L’ANTAGONISME, ORGANISER LA COMPLEMENTARITE

Il s’agit d’organiser une segmentation complémentaire, non antagoniste.
C’était la conception de René Renou, c’est aussi ce qu’a proposé Jacques Berthomeau en 2001.
Cela intéresse tous les producteurs de vins, car la différence vins de volumes/vins de terroir, vins de « de plaisir » et vins « de luxe », ne peut être réduite à une opposition vignerons de terroir/vignerons de volumes. De nombreux domaines, coopés, entreprises…sont ou veulent aller sur les deux segments. Ils ne le pourront pas s’ils n’ont pas les outils de valorisation du segment « terroir ». Cela intéresse donc tous les producteurs de vins, le segment IGP a aussi besoin de la locomotive des vins de terroir pour la notoriété et la commercialisation de ses vins. Il a aussi besoin de beaucoup plus de liberté pour devenir un vin de jeunesse, de fête, de plaisir, et casser l’image vieillotte, compassée, triste qui lui colle à la peau, avec le mensonge en prime.

L’Europe peut-elle imposer à ses membres un contenu au cadre général IGP/AOP qu’elle a défini ? Il semble aussi que cela ne soit pas si simple que cela, même si on ne doit pas renoncer à s’y appuyer.

La question est donc ouverte : Le segment « vins de terroir » a absolument besoin d’outils de définition, d’identification, de notoriété, de commercialisation. Peut-il attendre de la réforme actuelle en cours, c’est à dire de l’Etat, ou (et) de l’Europe qu’ils lui proposent le cadre réglementaire spécifique dont il a besoin, et qui ne lui sera pas accordé par la majorité pilotant les ODG ?

SEVE, août 2007.

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