la vente

Six mois environ depuis le dernier contrôle , Claude, le Dogue et son équipe n’avaient pas chômé.

Ce n’étaient pas tant les 170 hectolitres à l’hectares de moyenne qui posaient problème, ni les fermentations encore que les levures étaient rares depuis la réforme , cinquante mille hecto qui fermentent fallait quand même le faire dans cet environnement pouilleux ou tout manquait. Les levures on pouvait encore s’en passer, le Dogue travaillait avant dans une coopérative du sud, mais l’eau propre manquait, l’huile pour lubrifier les machines était hors de prix, le carburant, un mélange d’huile de colza et huile d’olive de seconde pressée était d’une qualité déplorable et figeait dans des bidons qu’il fallait vider à la spatule, rien, non rien ne tournait plus depuis que toutes les ressources naturelles appartenaient à deux multinationales qui se tiraient la bourre.

L’état ne contrôlait plus que l’alimentaire produit dans des usines qualifiées pour ça, principe de précaution disait-il, monopole disaient les opposant, mais pas trop fort pour éviter la prison, faut pas rigoler avec la contestation par ces temps bouleversés.


Des fermes, qui ressemblaient à des usines, fabriquaient de la farine, du lait, du fromage, enfin toutes ces choses qui portaient des noms d’avant mais qui n’en étaient plus. Il y avait des produits rouges et des bleus selon la couleur de la firme, bien sur tout avait le même goût, mais les partisans de la marque rouge ne juraient que par elle, tandis que ceux de la marque bleue cultivaient leur… différence.
Claude maugréa et s’arracha à contrecœur à la “mama morta” ” faut se bouger pour trouver à vendre ces jus” ma petite se dit-elle, faut plus compter sur les courtiers, ceux qui viennent ne sont jamais contents, trop de méthanol ou pas assez selon les années, sans compter la bagarre entre les producteurs d’huile et de betterave, ni la concurrence avec la canne à sucre qui arrivait d’on ne sait où et on ne sait comment, marché noir, contrebande, tout était possible.
La bourse se trouvait au rez-de-chaussée d’une tour vieillotte des années 2010, au cœur de la cité. Une foule abondante et bigarrée y parlait affaire autour d’une corbeille fatiguée. On y trouvait des phéniciens qui trafiquaient les dernières gouttes de pétrole encore disponible, un habitant du sud de l’Espagne au teint mat qui négociaient des mélanges louches d’huile d’olive et de colza, des voisins de la vallée du Rhône qui négociant des KW d’éoliennes, quelques vignerons traînaient dans le secteur, en général ils se retrouvaient dans des petits salons tranquilles autour de charcuterie de contrebande arrosée des vins qui avait échappé aux contrôles. Quand Claude pénétra dans l’un d’eux, un petit groupe se retourna vivement, tout va bien dit-elle en riant, ressortez les verres et goûtez-moi ça ! M’en direz des nouvelles avec le petit chèvre que j’aperçois derrière là-bas, jean amène.
Le petit groupe souriait rassuré et se remit à ses palabres. Dis voir Claude dit l’un d’eux comment tu fais pour boiser ce vin blanc que tu nous sers là, où qu’t’a caché les barriques ma vieille ?
“A ça mon grand si on te le demande tu dira que tu n’en sait rien … d’abord qu’elle barrique ? et quel vin blanc, vous avez vu du vin blanc vous autre ? et puis d’abord je te demande où tu caches tes chèvres toi ? ” le groupe souriait, Claude était en forme.
Bon c’est pas l’tout ça mais j’ai du jus à vendre, dit-elle, où en est le marché ?

Le marché ma grande, y va pas fort. Y a surproduction cette année et les distilleries n’arrivent plus à fournir. Le monopole nous a bien fait une proposition mais au prix de l’année dernière qu’était déjà le prix de l’année d’avant !
Claude soupirait crispée, l’ambiance devint soudain plus lourde, le réel refaisait surface.

Le monopole, le monopole, ça commence à bien faire, tous ces rentiers qui ne bougent pas le cul de leur chaise. Ca fait bientôt dix ans que j’ai repris les terres de mes parents, dix ans que j’ai planté hectare après hectares, investit dans des installations classées, dix ans que tous les jours je surveille ces putains de vigne, tout ça parce qu’il n’y a pas de produit de traitement, tout ça parce que ce sont les mêmes qui ont empoisonné nos sources, nos terres et l’air que respire mes enfants, tout ça parce que le pétrole a disparu, tout ça parce que nous ne pouvons plus nous déplacer comme nous l’entendons, plus faire pousser nos légumes, plus échanger nos graines, plus élever nos poulets, dix ans que je mange des fromages rouges fait avec du lait recomposé, des steak rouges fait avec du soja, des poissons rouges qui n’ont jamais vu d’eau courante, que je bois une eau rougie par des colorants ! dix ans que tus les ans je suis contrôlée pour être sur que je produise pas de vin de contrebande ! ça suffit, vlan ! la fin de la phrase se confondit avec le bruit de la porte qui claque et les volutes de fumée, les compères se regardaient tristement, ce qui restait du fromage de chèvre rejoignis une poche profonde, derrière eux un hologramme de Sonny Rollins rendait l’atmosphère à peine moins glauque.

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