Un Air de Famille : Pot-au-feu

Il en est du pot-au-feu comme de l’ami de la famille : même si on ne le voit pas souvent, on sait qu’il est là, tapi parmi les souvenirs les plus chauds, prêt à réapparaître un dimanche, en visite. Plutôt que la géographie, c’est l’histoire qu’il faut invoquer pour pister les origines de ce fil rouge culinaire. Le pot-au-feu est l’expression des cuisines primitives et de leurs évolutions jusqu’à aujourd’hui ; il reprend les canons d’une cuisine simple et roborative, bref, familiale.

Son nom appelle l’idée de mélange. Des viandes d’abord, grasses et maigres, de bœuf et de porc si vous misez sur la tradition. Des légumes ensuite avec du chou, des carottes, du céleri, des oignons, des navets. Rien de moins, le plus n’étant pas ici un défaut. Mais son nom évoque également le mélange des saveurs grâce à l’intimité d’une casserole pendant ces cuissons lentes et douces, au cours desquelles le bouillon s’enrichit des sucs des viandes et du jus des légumes.


Un mélange de goûts, soit, mais aussi une belle variété de textures : ces viandes longues ou serrées réclament des vins au caractère affirmé, mais sans la carrure de forts des halles. Ainsi, on surveillera les tanins du candidat, impérativement plus fins que carrés. On recalera au même motif les trop fluets pour faire face à la complexité cachée du plat.

L’élu devra donc faire preuve de caractère pour ne pas faiblir devant l’épreuve du bouillon gras, de longueur pour accompagner la persistance des parfums, d’une bonne structure acide, d’un fruit franc et plein (mais surtout pas surmûri !). Un vin élancé, fin, devrait satisfaire aux exigences de ce roi provincial et débonnaire.

LES COUSINAGES

Si à l’image de réconfortants cassoulet, choucroute ou bourguignon, il fait partie de l’imaginaire collectif, le pot au feu n’est pas marqué d’une connotation régionale spécifique : il ne vient de nulle part en particulier, et donc de partout, chaque région s’étant chargée de marier la déclinaison locale avec les crus indigènes.
Ainsi, dans le Sud ouest, le pot-au-feu au canard appelle sans sourciller un Cahors jeune et fruité, pas trop tannique et la palette de porc salée de l’elzekaria, en pays basque, ne renierait naturellement pas l’Irouleguy. Sous d’autres cieux, la potée champenoise aime, elle, partager les plaisirs de la table avec un Coteaux champenois rouge, à base de pinots fins.

Pourquoi pas le Gigondas avec un pot au feu au lapin ? Qu’on s’en remette au pot au feu de la mer, poissonneux, et un Pessac-Léognan blanc sera appelé à la rescousse. Vous l’aurez compris, à pedigree régional, solution locale.

Toutefois, hors des sentiers balisés, essayez donc un Bourgueil alerte, sur le fruit, un Bordeaux léger, issu des premières côtes, ou encore un Côtes du Roussillon à la fois rond et charpenté. Mais au final, c’est bien le pot au feu qui détient les clés de la cave. Ainsi, si le bouillon est très aromatique, il commandera de déboucher un vin généreux, ayant connu le soleil (les vins des Sud-ouest, Languedoc et Roussillon s’y emploieront très bien). Et, soyons fous, pourquoi pas un champagne vineux à base de pinot noir si vos légumes sont croquants ?

VERSIONS ORIGINALES

Certes le pot-au-feu est contemporain du hamburger et reste d’une grande modernité, mais il serait déraisonnable de lui adjoindre pour autant un cola gazeux. Aussi, si vous souhaitez vraiment éviter les ornières du classicisme, vous pourrez loucher vers les charmes d’un Fitou, aux généreuses rondeurs, d’un pinot blanc d’Alsace, beaucoup plus gracile, d’un Coteaux d’Aix, sudiste parfumé, d’un Côtes d’Auvergne, fait de pinot noir et gamay, d’un Côtes de Bourg, bordelais rond et élégant. Ou, en certaines grandes occasions, un Tokaj de Hongrie, si vous vous sentez la hardiesse d’un orfèvre pour imiter le chef Jean-Marie Amat. Son pot au feu de foie gras avec du jus de truffe appellera de tous ses vœux ce grand vin liquoreux.

POUR CONVOLER

Bourgogne . Givry 1er cru Rouge 2001 « Clos de la Servoisinne » . 12,00 €
Ce qui pourrait n’être qu’un mariage de raison, appliqué mais sage, se mue rapidement en union passionnée tant les tannins soyeux du vin répondent élégamment aux avances du bouillon gras. Au nez, un boisé fin se décline en de petites notes de fumée et d’ardoise pour évoluer, à l’aération, vers le cassis et la mûre. En bouche, une longueur impressionnante finit de nous séduire. Quelle nuit de noces !
Domaine Joblot . Jean-Marc Joblot . 71640 Givry . 03 85 44 30 77

Beaujolais . Fleurie 2002 « Garants » . 7,60 €
Une très belle robe homogène, pareille aux jolies anémones, un nez faisant la part belle aux petits fruits rouges et aux iris, voilà bien un visage inspiré du Beaujolais. Une attaque en bouche souple et vive à la fois, avec beaucoup de fluidité, une légère sucrosité relayée par des touches de caramel au lait puis le fruit s’installe pour ne plus quitter nos papilles.
Domaine du Vissoux . Pierre-Marie Chermette . 69620 Saint-Vérand . 04 74 71 79 42

Rhône . Saint-Joseph Rouge 2001 . ??? €
En lever de rideau, un nez poivré et des notes de bois. Puis une bouche serrée, sans brutalité ni chaleur aucune. Ce Saint-Joseph propose des tannins soyeux, de la maturité, de la droiture, de la longueur et … une bouche friande avec un fruit persistant. Le passage en carafe sera synonyme d’un plaisir décuplé. Jean Delobre révèle ses talents dès ses premières vinifications et le 2002, encore en fût, s’annonce d’ores et déjà magique.
La Ferme des 7 Lunes . Jean Delobre . 07340 Bogy . 04 75 34 86 37

Jura . Arbois Rouge 2001 « Trousseau des Corvées » . 8,50 €

Parfaite illustration des vertus des millésimes moyens, ce Trousseau d’un rouge très clair, aux nuances de grenadine, se distingue par un joli fruité mais aussi par une élégance féminine en dégustation pure. Mis en situation, il se révèle finalement assez long, prend du volume, réveillé et soutenu par le gras du plat. De prime abord discret, il se rebelle lorsque paraît le pot au feu !
Domaine de la Tournelle . Pascal Clairet . 39600 Arbois . 03 84 66 25 76

Anjou . Saumur Rouge 2001 . 4,90 €
Une robe très profonde et intense pour un Saumur, un nez avec des senteurs d’encre, d’ardoise et, surtout, de puissants arômes de cerises noires kirschées, typiques des vins du domaine. En bouche, des tannins fins et une très belle longueur. Les notes fruitées, alliées à la franchise de ce vin bien né, élèvent au rang de magie la rencontre avec le plat. Le prix finira de vous faire abdiquer.
Domaine de Château-Gaillard . Sylvanie & Matthieu Bouchet . 49260 Montreuil-Bellay . 02 41 52 31 11

Languedoc . Vin de Table de France Rouge « Vins d’œillades » . 4,00 €
Vigneron intègre, Thierry Navarre produit des Saint-Chinian d’une magnifique sincérité, reconnus par les amateurs éclairés. L’œillade, vieux cépage local cousin du cinsault, s’offre à vous tout en fruit, fraîcheur, notes de garrigue comprises. Ce vin redonne droit de citer à un cépage oublié, souvent relégué au triste sort de raisin de table. À re-découvrir d’urgence. Prix angélique pour un vin de caractère.
Domaine Thierry Navarre . 34460 Roquebrun . 04.67.89.53.58

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